Source: DW

Interview avec Diene Keïta, directrice exécutive adjointe de l’agence des Nations Unies pour la santé sexuelle et reproductive, sur les grossesses non-intentionnelles.

Près de la moitié des grossesses dans le monde sont des grossesses non-intentionnelles, soit au total environ 120 millions chaque année. C’est ce qu’indique un récent rapport de l’Agence des Nations Unies pour la santé sexuelle et reproductive, l’UNFPA.

Diene Keïta, directrice exécutive adjointe de l’UNFPA et sous-secrétaire générale des Nations Unies, évoque la situation préoccupante sur le continent africain et interpelle les dirigeants africains, au micro de Nadir Djennad, correspondant de la DW à Paris.

Retranscription de l’entrevue:

Nadir Djennad (ND): Diene Keïta, bonjour. Vous faites un constat, dans un rapport: dans le monde, chaque année, environ 120 millions de grossesses ne sont pas planifiées et 60% d’entre elles s’achèvent par un avortement. Qu’en est-il plus précisément de la situation sur le continent africain?

Diene Keïta (DK): Sur le continent africain, le taux de grossesses non-intentionnelles est très élevé et il correspond à 60% de ce qui se passe dans le monde. Le taux s’élève à 91% de grossesses non-intentionnelles.

ND: Quels sont les pays les plus concernés?

DK: Les pays les plus concernés, malheureusement, se situent en Afrique australe et l’Ouganda est le pays qui a le taux le plus élevé de grossesses non-intentionnelles.

ND: Est-ce que dans de nombreux pays africains, la pauvreté, les inégalités entre hommes et femmes, le faible niveau d’instruction réduisent la capacité des femmes à opérer des choix, à solliciter et se procurer les moyens contraceptifs?

DK: Je crois que vous mettez là le doigt sur la véritable question. En fait, la question des grossesses non-intentionnelles, c’est la capacité d’une femme d’aspirer à faire des choix et c’est ça qui manque. Quand on parle d’égalité entre hommes et femmes, on a tendance à oublier que la première égalité c’est son autonomie corporelle.

Alors est-ce que ces jeunes femmes reçoivent l’information ou non par rapport à leur capacité ou leur liberté de choix? Deuxième point: est-ce que les partenaires, parce que beaucoup de grossess non-intentionnelles se passent dans les couples aussi, est-ce que même dans son couple la femme a le choix? Ou alors c’est une violence conjugale et procréer est la tâche première de la femme. Ça, ce sont des questions essentielles de ce rapport qui sont à la base de l’égalité réelle entre hommes et femmes.

ND: Dans le rapport, vous dites également que les avortements sont pratiqués en général dans de mauvaises conditions. Quelles sont les conséquences pour la femme dans les pays africains que vous connaissez?

DK: Les avortements dépendent des pays. Chaque pays a sa loi et les pays où les avortements médicalisés, pour des raisons de santé et de suirvie de la mère et l’enfant, ne sont pas autorisés, ils amènent soit au décès de la mère et soit au décès de l’enfant. Et quand cela ne tue pas, ça met la mère en situation de fistule obstétricale qui peut la faire rejeter de sa famille pour de bon et donc créer un enfer pour elle même, mais surtout créer un problème pour la société et le système sanitaire qui sera obligé de la prendre en charge d'une manière ou d'une autre. Donc des coûts énormes pour les Etats.

ND: Diene Keïta, le rapport évoque une "crise négligée des grossesses non-intentionnelles". Est-ce que sur le continent africain, vous avez constaté que les pouvoirs publics n'assurent pas suffisamment les services de santé sexuelle et reproductive dont les personnes ont besoin?

DK: Très certainement, il en faudrait beaucoup plus. Mais il faudrait d'abord que l'information circule. Est-ce que les jeunes femmes et les femmes sont au courant qu'il y a une information par rapport aux grossesses? Ça, c'est important, c'est basique.

Ensuite, la contraception est-elle connue? Est-elle disponible dans ces pays? Parce que quand il y a contraception, il y a moins de grossesses non-intentionnelles, cela va sans dire.
Et enfin, la relation entre partenaires homme-femme. Comment est-elle vécue en termes de partenariat pour tenir compte des besoins corporels de la femme, pour pouvoir avoir la grossesse au moment voulu.
Autour de cela, vous avez l'Etat, vous avez l'Etat et son rôle de responsabilité par rapport au système de santé et au système de prise en charge de la protection sociale qui va de la mise à disposition de contraceptifs, la mise à disposition de centres de santé ouverts fournissant les informations et cela manque énormément.

ND: Vous interpellez les pouvoirs publics et toutes les franges de la population africaine pour une réaction globale. Que peuvent faire de plus les Etats africains, selon vous?

DK: Ils peuvent tout faire. C'est la magie des gouvernements. La première chose qu'ils peuvent faire, c'est de véritablement s'assurer qu'il y a un budget dédié, au niveau du budget national, sur les questions de contraception et de bien en matière de santé maternelle. Ça, c'est la première tâche d'un gouvernement.

Ensuite il faut renforcer le système sanitaire. Parce que si le système sanitaire est renforcé, beaucoup de ces grossesses peuvent être prises en charge de manière harmonieuse et éliminer la partie crise, parce que beaucoup de ces grossesses sont liées aussi à des violences sexuelles. Donc il faut avoir le système de prise en charge de prise en compte de ces violences parce que ça a un aspect sur le mental qui est extrêmement important, ça, les gouvernants peuvent le faire et c'est leur devoir de le faire.
Dans les politiques très modernes aujourd'hui d'égalité des sexes, de renforcement de la place de la femme dans la société, mais pour ce faire, ce n'est pas qu'économique, ce n'est pas que ce qui est visible. Le plus important, c'est ce qui ne se voit pas. Le plus important, c'est l'imperceptible.