ATTENTION: Mentions de viols et violences sexuelles

Source: rfi

La décision de la Cour Suprême américaine de révoquer le droit à l’avortement fait réagir jusqu’en Afrique. Sur le continent, l’interruption volontaire de grossesse (IVG) reste interdite dans une grande majorité de pays. C’est le cas en Côte d’Ivoire par exemple, où l’avortement n’est autorisé qu’en cas de danger pour la vie de la mère ou en cas de viol et d’inceste. Une proposition de loi est toutefois en préparation pour libéraliser les IVG, mais ce n’est pas encore gagné.

Goge Maïmouna Gazibo, magistrate et coordinatrice de l’ONG de promotion des droits humains Chroniques Juridiques, milite pour les droits des femmes au Niger, où elle rappelle que l’avortement est durement réprimé. Pour elle, cette décision américaine aura un impact sur d’autres pays, et notamment en Afrique.

En Côte d’Ivoire, l’interruption volontaire de grossesse reste un sujet tabou au nom du droit à la vie du foetus. Depuis quelques années, de plus en plus d’organisations féministes et de droit des femmes appellent à ouvrir l’accès à des avortements sécurisés. Mais, elles craignent que la décision de la Cour Suprême américaine ne rende la lutte plus difficile sur le continent.

“Bien que la Côte d’Ivoire soit partie au protocole de Maputo concernant la santé sexuelle reproductive des femmes, le droit à l’avortement n’est toujours pas dépénalisé, encore moins légalisé. Donc, ce que nous craignons en tant que féministes africaines, c’est que cette décision de la Cour Suprême des Etats-Unis ne pous les Etats africains à également durcir la loi sur le droit à l’avortement”, craint Désirée Dénéo, la secrétaire générale de la Ligue Ivoirienne des Droits des Femmes.

Par défaut, les Ivoiriennes ont recours à des avotements clandestins particulièrement dangereux pour leur santé. C’est pourquoi le député indépendant Antoine Tiemoko Assalé planche sur un projet de loi pour légaliser la pratique:

“Je discute avec les gynécologues qui me donnent des témoignages particulièrement édifiants de jeunes filles complètement ravagées par des personnes que je qualifierais de bouchers. Un Etat responsable devrait s’interroger sur la question pour que cela se fasse en toute sécurité. Il y a des dizaines et des dizaines de filles et femmes qui meurent à la suite d’un avortement clandestin effectué dans des conditions sanitaires qui laissent à désirer.”

Selon l’ONG Médecins du Monde, 300 000 femmes avortent de manière illégale chaque année en Côte d’Ivoire, les trois-quarts étant des élèves mineures.

Même inquiétude au Congo-Brazzaville: la décision de la Cour Suprême américaine ne passe pas chez les ONG qui pensent plutôt que ce droit est inaliénable. Comme en Côte d’Ivoire, le code pénal congolais interdit le recours à l’avortement certes, masi le pays a adhéré au protocole de Maputo qui l’autorise sous certaines conditions, notamment quand la vie de la mère est en danger.

Tee-shirt blanc sur les épaules, un petit sac noir en bandoulière, dans un carrefour du septième arrondissement, Ornel Michäel Djembo, responsable des programmes de l’ONG Avenir Nepad Congo, explique à quelques passants que la décision de la Cour Suprême sur l’avortement est une mauvaise nouvelle. “Nous avons suivi avec beaucoup d’attention ce qui se fait aux Etats-Unis actuellement, ceci avec beaucoup de désolation. C’est un retour en arrière parce que, pour nous, le droit à l’avortement est un droit humain, un droit inaliénable. Donc on ne devrait pas assister à ce qui vient de se produire”, déplore-t-il.

Pour ce défenseur des droits de l’homme, l’avortement n’a des conséquences fâcheuses que lorsqu’il est pratiqué dans la clandestinité. Il faut donc l’officialiser. “Lorsque celui-ci est autorisé et encadré, on va assister à une baisse de la mortalité maternelle et infantile, parce que l’avortement ne se fera plus de façon clandestine, le personnel médical sera formé, le plateau médical va répondre aux normes. Et, juridiquement parlant, les gens n’auront plus peur d’avoir recours à l’avortement.”

Il y a dix ans, une enquête du ministère de Santé révélait qu’au moins 23% de femmes, sur un échantillon de 10 000 interrogées, avaient déjà eu recours à un avortement.

L’Afrique du Sud possède l’un des cadres juridiques les plus libéraux du continent en matière d’avortement. La loi sur l’interruption de grossesse de 1996 permet aux femmes d’obtenir un avortement dans le pays jusqu’à douze semaines, sans conditions.

Si, dans les faits, il y a encore de nombreux problèmes d’accès, le droit à l’avortement est fermement ancré dans les textes du pays mais Marion Stevens, fondatrice de la Coalition pour la Justice Sexuelle et Reproductive, basée au Cap, redoute néanmoins que la décision américaine ait une influence négative dans le pays.

“Nous avons la loi sur l’interruption volontaire de grossesse, et la disposition est aussi protégée dans notre Constitution, dans la déclaration des droits, où est inscrit le droit à la santé reproductive. Donc nous avons des textes juridiques bien formulés en Afrique du Sud, pour protéger tout cela. Mais il y a beaucoup d'influences des groupes conservateurs et chrétiens américains, qui exportent ici une culture réactionnaire. On a vu par exemple apparaître des centres de crise anti-avortement. Et ces mêmes groupes ne veulent pas non plus qu’il y ait d’éducation sexuelle à l’école. Donc j’ai le sentiment que la décision américaine peut avoir un effet et faire diminuer la qualité des services de santé sexuelle et reproductive en Afrique du Sud en renforçant l’influence de ces groupes conservateurs.

A Madagascar, Mbolatiana Raveloarimisa est l’une des membres fondatrices du mouvement Nifin’Akanga, qui lutte pour la dépénalisation de l’avortement. Elle se bat ces derniers mois avec une députée et l’ordre des médecins pour faire adopter la proposition de loi sur l’interruption thérapeutique de grossesse, une loi pour permettre aux femmes d’arrêter une grossesse en cas de risque médical, de foetus non viable, d’inceste ou de viol. Face à un lobbying intense de l’Eglise catholique, le texte a été une nouvelle fois écarté à l’Assemblée Nationale le 2 juin dernier. Le Conseil oecuménique des Eglises chrétiennes de Madagascar a demandé sans détour “à faire tout ce qu’il est possible pour empêcher ce projet”. Un texte “incompatible avec les valeurs malgaches”, se justifiait le bureau de l’Assemblée Nationale.

“On est vraiment triste de ce qui se passe aux Etats-Unis. Peu importe le pays dans le monde, que ce soit aux Etats-Unis ou à Madagascar, les droits de la femme ne sont jamais acquis à 100%. Il faut toujours lutter pour que ces droits puissent êtres pour nos enfant acquis et non pas des droits qui sont toujours marchandables par rapport à des contextes. Pour Madagascar, on est encore à des années-lumière. Il s’agit de sauver des vies, même dans les cas extrêmes de l’interruption thérapeutique de la grossesse. Il n’y a pas de petit pays ou de grand pays. Le combat reste le même pour la femme, autant que nous allons soutenir nos soeurs américaines, que nos soeurs américaines vont soutenir Madagascar. Et on sera toujours là jusqu'à ce que cette loi soit adoptée”, estime Mme Raveloarimisa.

Plus de 2 900 femmes par an décèdent dans le pays à la suite de grossesses à risques et d’avortements non sécurisés selon ce mouvement.

De nombreuses ONG craignent notamment que de nombreuses femmes mettent en danger leur vie en se faisant avorter dans des conditions beaucoup moins sécurisées. Une inquiétude que partage Delphine Kemneloum Djiraibe, avocate, défenseuse des droits de l’Homme et membre de l’organisation PILC au Tchad.

“La question de la vulnérabilité de la femme quand on parle de pauvreté, ça frappe d’abord la femme d’une manière toute particulière. J’entends cela parce que les femmes qui n’auront pas les moyens de s’offrir, dans d’autres contrées, un avortement avec toutes les garanties possibles vont risquer leur vie quand elles se verront obligées d’y aller de toutes les façons. Et le fait qu’il y ait ces allers et venues, le fait qu’on a l’impression qu’on danse un peu le tango sur cette question-là, montre bien sa complexité. On ne peut pas de manière simpliste se prononcer pour ou contre quand il s’agit du droit à la vie, des libertés, du droit de la femme de disposer de son corps et de décider de ce qu’elle veut en faire. Je dis que le débat reste encore à être mené."

L’adhésion de l’opinion publique est de plus en plus grande pour faire adopter cette proposition de loi. Ces dernières semaines, des personnalités, élus et anciens ministres se sont d’ailleurs déclarés en faveur de l’interruption thérapeutique de grossesse.