Source: ONU Info
Une paix durable n’est possible qu’avec la participation pleine, véritable et égale des femmes aux processus politiques et de paix. Ainsi, les conseillères sur les questions de genre au sein des missions de maintien de la paix des Nations Unies travaillent pour que les voix des femmes et des filles soient entendues. Les sections genre des missions de maintien de la paix et des missions politiques des Nations Unies ont été créées pour soutenir la mise en œuvre des résolutions du Conseil de sécurité sur les femmes, la paix et la sécurité.
Oumou Habi Diawara à la Mission des Nations Unies au Mali (MINUSMA) et Mireille Lauier Affa’a Mindzie à la Mission des Nations Unies en République démocratique du Congo (MONUSCO) sont toutes deux conseillères. Leur rôle principal est de conseiller le chef, ou la cheffe, de la mission pour que les questions de genre soient intégrées dans la mise en oeuvre des programmes, des activités de la mission, que les besoins et les priorités des femmes soient pris en compte, et que la participation des femmes soit effective “aussi bien lorsqu’on parle de représentation politique, de réforme des secteurs de sécurité, d’appui à la justice ou de DDR (désarmement, démobilisation et réinsertion)”, explique Mireille Lauier Affa’a Mindzie, dans un entretien avec ONU Info.
Leurs expériences les ont préparées à leur travail
Mme Mindzie, originaire du Cameroun, a toujours été intéressée par le travail de l’Organisation des Nations Unies. Après avoir fait des études de droit international, puis travaillé en Gambie et en Afrique du Sud, elle s’est retrouvée à New York, en 2014, en tant que spécialiste sur les questions de paix et de sécurité à ONU Femmes, notamment sur l’inclusion des perspectives et des besoins des femmes dans les processus de paix, mais aussi sur la mise en oeuvre des politiques nationales pour l’application de la résolution 1325 du Conseil de sécurité sur les femmes, la paix, la sécurité.
“Après avoir fait ce travail pendant 7 ans à New York, je souhaitais vivement aller sur le terrain pour voir un peu comment ces politiques sont mises en oeuvre par une mission de maintien de la paix, une mission de stabilisation, une mission intégrée des Nations Unies, aux bénéfices et avec les femmes”, a-t-elle expliqué à ONU Info.
“En effet, l’agenda femme, paix et sécurité, n’est pas seulement pour les femmes, mais c’est un agenda pour la paix et pour la sécurité dans lequel les besoins et les contributions des femmes sont reconnus comme importants et cruciaux”, a-t-elle ajouté.
Oumou Habi Diawara, cheffe adjointe de l’unité genre à la MINUSMA depuis 2017 est américaine. Originaire de la Guinée, elle a rejoint les Nations Unies en 2008, en tant que volontaire à N’Djamena au Tchad.
Pour elle, le travail des Nations Unies, à travers ses agences et ses missions de maintien de la paix, sur l’autonomisation des femmes et des filles, est la clé de la croissance économique et de la stabilité politique et de la transformation sociale d’un pays. C’est son travail au sein d’organisations telles que Salvation Army et Women of Today dans l’Etat du Minnesota aux Etats-Unis, et son rôle en tant que “voix des femmes minoritaires auprès du Sénat et du Congrès américain”, qui lui ont montré l’importance du plaidoyer.
“Et pour moi, venir aux Nations Unies et être amenée à travailler dans tous les pays et avec ces femmes pour pouvoir maintenant les aider dans leur plaidoyer, pour moi, c’était très essentiel que je puisse faire ça”, a-t-elle expliqué à ONU Info.
Les premières à être déployées sur le terrain
Les conseillères sont souvent les premières à être déployées sur le terrain. Leur travail leur permet de mieux comprendre la situation des femmes. Ainsi la Section genre de la MONUSCO en RDC a mis en place différentes activités pour identifier les zones dans lesquelles les femmes sont le plus à risque d’attaques par les groupes armés.
“En travaillant avec les femmes leaders dans leur communauté locale, notamment dans les provinces de l’Est qui sont touchées par les conflits armés où la violence continue de faire de nombreux dégâts sur l’environnement mais aussi sur le corps des femmes et des filles, nous avons essayé d’identifier les zones dans lesquelles elles sont le plus à risque d’attaques par les groupes armés, de violence, d’agression, y compris des violences sexuelles liées au conflit”, a expliqué Mireille Affa’a Mindzie.
Avec les informations collectées, des cartes sont préparées et partagées avec les structures de la MONUSCO qui travaillent sur la protection des civils afin qu’elles intègrent les informations qui sont transmises par les membres de la société civile, et les femmes leaders dans leur communauté.
“Ces cartographies sont d’une importance capitale”, a-t-elle dit. “Il nous a été signalé qu’à l’aide de ces cartographies, certains bataillons, certains officiers de la force de la mission, sont allés jusqu’à changer l’heure de leur patrouille pour s’assurer que, en fonction des horaires qui sont identifiés par les femmes comme étant les plus sensibles à des agressions, ces femmes bénéficient d’une protection renforcée”, s’est-elle réjouie.
La Section genre à la MONUSCO essaye aussi d’appuyer la participation des femmes dans les efforts de paix que mènent la mission sur le terrain. “C’est le travail que nous faisons avec les réseaux de femmes médiatrices, dans les provinces du Sud-Kivu, du Nord-Kivu et de l’Ituri”, a-t-elle ajouté.
Depuis 2018, la MONUSCO a pu former 350 femmes médiatrices qui participent ainsi aux initiatives de paix dans leur communauté. Il s’agit de résolution des conflits, des conflits familiaux, des conflits d’accès à la terre et de protection des champs. Mais aussi cela les aide à discuter avec les membres de leur famille qui appartiennent à des groupes armés pour les encourager à se désengager.
Le travail de la Section genre est donc en lien avec le mandat de la mission, tant en termes de protection des civils, mais aussi d’avancement vers la stabilisation, y compris les processus de désarmement, démobilisation, réintégration des combattants congolais et étrangers, a-t-elle continué.
La Section genre de la MINUSMA travaille aussi avec les femmes leaders. “On est engagé totalement avec elles, au plan de la conception, de l’élaboration, et de la mise en œuvre", a indiqué Habi Diawara. “Il est donc nécessaire de travailler avec les femmes de la société civile, œuvrant pour la paix, pour faire avancer l’agenda paix et sécurité.”
Ainsi la coopérative BENKADI, dont les membres sont des femmes et des déplacés de la région de Mopti, au centre du Mali, permet d’améliorer l’accès et le leadership des femmes au sein de la coopérative et ainsi d’améliorer leur vie et celle de leur famille. “Ces femmes sont sensibilisées à leur participation pleine et effective au processus de paix et de réconciliation. Elles se sentent plus concernées par le conflit et interagissent en conséquence avec leur mari, fils et filles”, a expliqué Habi Diawara.
Les femmes ont une vision de la paix différentes de celle des hommes
“Les femmes ont des approches et des priorités différentes notamment au sein de leur communauté en tant que mères, en tant qu’épouses mais aussi en tant qu’actrices de développement”, a expliqué Mireille Affa’a Mindzie. “En termes de construction de la paix, ce que les femmes apportent est éminemment valable pour nous assurer que les efforts de paix qui sont mis en œuvre soient durables”.
Prenant l’exemple de la démobilisation d’anciens combattants en RDC, elle a indiqué que les femmes vont aller au-delà de déposer les armes. “Elles vont s’assurer qu’elles ont un revenu, un petit pécule qui leur permettra peut-être de stabiliser. Ca veut dire qu’elles vont vouloir des ressources qui soient durables, qu’elles vont investir et ce qui va permettre d’assurer une meilleure survie de leur famille, de leur communauté et aussi de participer ainsi aux efforts de développement de ces communautés-là”.
Pour Mireille Affa’a Mindzie, les femmes, lorsqu’elles sont actrices de la paix non seulement au niveau local, mais aussi au niveau politique, font avancer des questions politiques qui bénéficient à l’ensemble de la société, “qu’il s’agisse des questions d'éducation, des questions d’accès à la santé, et qu’il s’agisse d'activités génératrices de revenus qui permettent d’assurer le bien-être de leur famille et de leur communauté”.
Ce sont donc ces thématiques-là qui vont permettre d’assurer une paix durable, a-t-elle élaboré. “Et je pense que c’est la contribution des femmes”. Pour Mireille Affa’a Mindzie, les priorités des hommes se situent souvent en termes de poste politique ou de questions militaires, ou de sécurité et moins en termes de développement social, économique pour l’ensemble de la communauté, de la famille et de la société en général.
Même constatation pour Habi Diawara: “La construction d’une paix durable ne peut pas se faire sans les femmes”. Pour elle, il est donc nécessaire de travailler avec les femmes aux niveaux local et national. “Les femmes veulent subvenir aux besoins de leur famille, elles sont le soutien (...) Sans la femme on ne peut pas arriver à une paix durable”, a-t-elle indiqué.
Inclure la notion de genre dans les missions de maintien de la paix
Il est important d’inclure les femmes parce que les femmes font partie du monde, a indiqué la Conseillère principale à la MONUSCO. De plus, “en RDC, les femmes constituent 52% de la population et ces 52% de la population ont des besoins, mais aussi une voix qui compte et une voix qui peut faire changer les choses”, a-t-elle insisté.
Cela veut dire que les violences que les femmes subissent, que ce soit les violences domestiques mais aussi les violences qui sont causées par les groupes armés doivent être prises en compte afin que justice soit rendue. “Ces femmes ont besoin de programmes de justice, de réparation et autres. Mais ça ne s’arrête pas là. Les femmes ne sont pas que des victimes, elles ne sont pas que des êtres faibles qu’il faut protéger. Les femmes ont aussi des droits qui doivent être respectés”, a-t-elle expliqué.
Mais surtout les femmes ont des idées et des initiatives qui peuvent contribuer à bâtir la paix, à arrêter les conflits, et “qui devraient être prises en compte de manière effective au niveau de leur communauté”. “Ca veut dire travailler avec les leaders communautaires qui souvent demeurent assez réfractaires à l’intégration, à l’inclusion des femmes”, a-t-elle indiqué. “Mais aussi travailler avec les autorités nationales pour s’assurer que les femmes sont effectivement incluses dans toutes les initiatives de paix. Il faut des lois, il faut faire respecter les conventions internationales que le pays a signées, les résolutions du Conseil de sécurité auxquelles le pays souscrit. Ça veut dire que l’Etat, le gouvernement a aussi une responsabilité en termes de mise en oeuvre de cet agenda femmes, paix et sécurité”.
“Enfin, cela concerne les acteurs internationaux, la MONUSCO mais aussi les partenaires de l’Etat congolais, les bailleurs de fonds, tous les experts (...) pour s’assurer que les contributions des femmes, les voix des femmes, les priorités des femmes sont prises en compte de la même manière que celles des hommes qui sont souvent à l’avant-garde de ces processus”, a-t-elle continué.
Selon la Conseillère principale genre à la MINUSMA, “pour une paix et une sécurité durables, il faut une égalité entre les membres de la société en termes d’opportunité, de protection, d’accès aux ressources et services et de participation aux prises de décisions de ces femmes à tous les niveaux”. Mais elle regrette que dans de nombreuses sociétés, les femmes sont encore confrontées à des entraves culturelles, religieuses qui les empêchent de jouir pleinement de cette égalité.